18 - De vraies fées
A tous ceux qui aiment revêtir un costume, à tous ceux qui aiment jouer, à tous ceux qui aiment croire aux histoires et aux contes de fées, je dédicace cet épisode.
J'ai toujours aimé revêtir un costume. Dès mon plus jeune âge, j’adorais me déguiser. Je crois que ce que j’aimais par-dessus tout c’était devenir quelqu’un d’autre. Pendant quelques heures, je n’étais plus vraiment moi, mais un autre être que je croyais être plus beau, plus fort, plus agile ou plus malin, et surtout unique.
Le premier déguisement dont je me souviens était celui d’un personnage de bande dessinée belge. Ils sont petits et bleus, ils vivent dans des maisons en forme de champignons, ils mangent de la salsepareille, leur ennemi juré s’appelle Gargamel et il a un chat, enfin, ils parlent en utilisant principalement la déclinaison d’un seul mot, leur propre nom : Schtroumpfs. Pour ceux qui n’ont pas eu la chance de lire cette BD, sachez que dans ce monde incroyable, il existe environ une centaine de Schtroumpfs et qu’ils sont tous vêtus exactement pareil, une sorte de collant tout blanc, sauf deux d’entre eux : Le grand Schtroumpf dont la tenue est rouge et la Schtroumpfette qui porte une robe.
J’étais en grande section de maternelle. Le thème pour la fête de l’école était le monde des schtroumpfs. La maitresse avait donc demandé aux parents de nous habiller avec cet accoutrement très simple : un bas blanc et un T-shirt bleu, ainsi qu’un bonnet blanc. Pour ne pas faire comme tout le monde et comme je voulais être la Schtroumpfette, j’avais décidé d’enfiler une jupe. Certaine que personne n’aurait eu cette idée-là, je fus surprise de voir ma meilleure amie arriver avec un bonnet et un pantalon rouge, des lunettes rondes et une fausse barbe : le grand Schtroumpf ! Grâce à nous et notre orgueil, le village imaginaire était au complet.
J’ai eu de nombreux déguisements dans ma vie.
Quand j'étais petite, c'était celui de Blanche Neige que je préférais. Je me revois sortir de chez la couturière avec une magnifique robe en satin taillée sur mesure, au jupon jaune éclatant et au bustier bleu outremer agrémenté d'élégantes manches courtes et bouffantes... Tout cela me faisait rêver. Je me sentais appartenir à un conte de fée.
Du haut de mes 8 ans, masquée d'un loup noir en forme de papillon, je dansais joyeusement dans ce déguisement spécialement créé pour le bal de l'école. Chaque fête était une occasion de m'habiller en un personnage nouveau...et d'incarner cet être singulier.
Par bonheur et par chance, j’étais dans une école où les professeurs adoraient organiser des fêtes costumées. Tous les ans vers la fin de l’année, chaque enseignant proposait un spectacle avec un thème original et inédit. Et nous, les élèves, on s’inscrivait là où on avait envie de participer. C’était extraordinaire. En CE2, ma maitresse préférée avait préparé un spectacle inspiré des costumes et des danses traditionnelles russes. J’avais justement un livre à la maison qui s’appelait « Caroline en Russie ». Ça racontait l’histoire d’une enfant qui part vivre des aventures dans ce pays slave. Les illustrations étaient magnifiques. On y voyait cette petite fille blonde revêtant la tenue colorée et la coiffe folklorique garnies de fleurs. Madame Morin nous avait fait fabriquer et peindre des couronnes en cartons pour porter le jour J. Restait à trouver la jupe évasée aux volants multicouches en patchwork. Il se trouvait que ma cousine de Paris possédait exactement ce type de vêtement. Après un coup de fil à ma tante, la fameuse jupe fut envoyée par voie postale. Malheureusement, la poste avait des problèmes, nous étions à quelques jours de l’événement et le colis n’arrivait toujours pas. Ma sœur possédait une autre jupe similaire qu’elle avait bien voulu me prêter car elle s’était inscrite à un autre spectacle, celui des bonbons. Ma grand-mère lui avait confectionné un déguisement rouge imprimée de pois noirs avec une collerette et une bordure cannelée. Elle ressemblait un peu à une coccinelle qui se rend à un bal, emballée dans du papier velours. La jupe qu’elle voulait bien me céder semblait pas mal, jaune et bleue avec des volants. Mais celle de ma cousine était incomparable à mes yeux. Plus épaisse, avec plus de volants, d’un blanc éclatant sur lequel apparaissaient des fleurs et aux pompons bleu foncé cousus sur l’ourlet. Je m’imaginais déjà sur scène la faisant virevolter. Le jour J arriva, et le paquet de Paris aussi. Ma joie : indescriptible. Il fallait tout simplement me voir monter fièrement sur l’estrade, réaliser la chorégraphie que nous répétions depuis des semaines. Merci papa d’avoir filmé. Je garde en tête cette image de moi en train de tourner sur moi-même. Tourner, tourner, tourner…jusqu’à m’en étourdir. J’aimais m’imaginer ce que je pouvais être en revêtant un costume. J’aimais me sentir surprise, émue, impressionnée, abasourdie, émerveillée. Dans les yeux d’un enfant, la vie est un spectacle continu. J’ai compris ça le jour où je me promenais dans les rues d’Angers avec Céleste pendant le festival des Accroches Cœur. Le fameux festival qui dure 3 jours pendant lequel la ville toute entière est décorée et où les habitants sortent costumés. Cette année-là le thème était « vert ». La ville s’était voulue écologique. Avec Céleste on avait fabriqué des jupes bouffantes en toile de tulle aux tons émeraude et turquoise. On s’était arrêté sur une petite place non loin de la Cathédrale où une sorte de coiffeur botaniste un peu perché demandait à des spectateurs de monter sur scène pour leur offrir une coiffure originale. Il nous avait toutes les deux choisies. Dans une mise en scène des plus farfelues, cet Edouard aux mains d’argent angevin avait transformé notre chevelure en une œuvre d’art à l’architecture époustouflante. Grâce à un cône dissimulé sous ma tignasse, le magicien m’avait coiffée d’un hénin si haut qu’on n’en pouvait voir le bout. Il y avait même fait apparaitre des fleurs qui semblaient y avoir fleuri naturellement et des oiseaux qui semblaient s’y être posé délicatement. Quelques instants plus tard, je marchais donc noblement, dans ma jupe de tulle vert, avec cette coiffe extraordinaire et tous les regards se braquaient sur moi. Céleste à mes côtés, nous ressemblions à des fées sorties d’un conte merveilleux. Justement, une femme nous arrêta, et nous dit que sa fille avait une question pour nous. L’enfant avait environ 4 ou 5 ans. Elle nous demanda de sa petite voix timide : « Est-ce que vous êtes de vraies fées ? » Je vis la lueur dans ses yeux et je réalisai ceci : le plus merveilleux c’est d’émerveiller.