12- Le Charme Nantais
Nantes est notre refuge, c'est là qu'on a créé tous nos souvenirs, et souvent, elle me dit qu'elle se balade dans les rues de cette ville où elle habite encore, et qu'elle me voit partout, même si je vis à des milliers de kilomètres...
Vocabulaire
prépa : classe préparatoire, post bac
grave : très
une crâneuse : une prétentieuse
une pétasse : une fille qui se pense belle et a une attitude condescendante
La Petite Sirène : femme mi humaine mi sirène, personnage de conte d'Andersen
un crabe : un animal marin avec des pinces et des pattes
Arielle : prénom de la petite sirène
un taré : un fou
une gamine : une enfant
un délire : une plaisanterie extrême
une reconstitution : une mise en scène
un goéland : un oiseau qui vit au bord de la mer
une pire en bois : un instrument pour fumer
bavard : qui parle beaucoup
la Khâgne : la 2ème année de prépa littéraire
se balader : se promener
un appart' : un appartement
le taf : le travail
prof des écoles : enseignant à l'école primaire
le secondaire : l'école pour les élève de 11 à 18 ans
paumé : perdu
le maquillage : le dessin embellir pour le visage
une idiote : une personne ignorante ou stupide
marrer : rire
moche : laid, contraire de beau
un cul : un derrière
une poule : une femelle poulet
une tenue : un vêtement
le Stakhanov : nom du café concert rock
le Prohibition : nom du bar dansant
une mezzanine : un étage ouvert
une estrade : un sol surélevé
bobo : bourgeois bohème
babacool : hippie
ailleurs : dans un autre lieu
le hangar à banane : le nom donné à un regroupement de bars sur l'ile de Nantes
un mec : un homme
une boite : une discothèque
mutuellement : réciproquement
un shot : un petit verre
une carte bleue : une carte de crédit
kiffer : aimer
Yäger bomb : un cocktail avec du redbull
un videur : un homme qui fait entrer et sortir les clients d'une discothèque et assure la sécurité
une piste : un lieu pour danser
les frérots Délavega : un duo de chanteur Français
Transcription
Thelma est une très belle femme au teint matte et au grand yeux ronds. Elle a une bouche rieuse et une mouche au-dessus de ses lèvres, telle une actrice. Avec ses cheveux épais, ses sourcils bien dessinés et ses longs cils bruns, elle fait penser à une andalouse, ou plus éloignée, une Colombienne, mais ses origines sont alsacienne et parisienne en vérité. Je l’ai rencontrée quand elle était encore une jeune fille insouciante, comme moi.
Bienvenue sur le podcast : La Vie d’Alix
C’est elle qui m’a regardé la première. On était en prépa. Apparemment, elle m’a observé en cours, le premier jour. Elle s’est dit que j’étais grave belle et que je le savais. J’avais surement confiance en moi, elle s’est dit. Le genre de fille prétentieuse, une crâneuse quoi. A l’intercours, on s’est retrouvée à parler avec d’autres filles, puis on a quitté le groupe pour se rendre aux toilettes. Je suis sortie avant elle et je l’ai attendue. Elle est sortie et elle était surprise de me voir dans le couloir à l’attendre. A partir de là elle s’est dit : ok, cette fille n’est pas une pétasse. A la pause déjeuner un peu plus tard, on était avec d’autres et on a commencé à parler de Disney. On s’est mis à délirer sur La Petite Sirène et on est parti en trip sur le personnage du crabe, Sébastien. On s’est tapé un fou rire en imitant la voix du crabe qui répond au père d’Arielle l’interrogeant sur les activités de sa fille. Là, y’avait plus personne qui comprenait, d’ailleurs, pour moi, y’avait plus personne. Les autres étudiants devaient nous prendre soit pour des tarées, soit pour des gamines. J’m’en souciais pas car j’avais trouvé en cette fille que je connaissais à peine une partenaire de retour à l’enfance. Le délire a continué jusqu’à la reconstitution du passage où le personnage du goéland explique à Ariel comment utiliser une soi-disant « bijette », le nom qu’il donne en fait à une pipe en bois. On avait 18 ans. Cette année-là, on a passé pas mal de temps ensemble. On n’était pas très proches mais je l’aimais bien. J’admirais son intelligence, son ouverture d’esprit, son sens critique, et sa façon de parler avec des mots précis et un raisonnement structuré. Elle était très bavarde, et elle l’est toujours. C’est l’année d’après, quand on a déménagé à Nantes pour la Khâgne, qu’on s’est rapprochée. On habitait pas très loin l’une de l’autre, dans le quartier de la Motte Rouge. On partageait un gout prononcé pour les pâtisseries françaises. Elle apportait souvent un gouter quand elle venait à l’appart, et vice versa. On se baladait le long de la rivière Erdre. On allait au cinéma Katorza. On a commencé à avoir nos petites habitudes, nos endroits cultes. J’ai changé 4 fois d’appart’ et le dernier que j’ai loué était à une rue de chez elle. Pratique. On a fini par se donner le surnom de Bijette, en référence à cette fameuse scène de la Petite Sirène. Elle est pas restée à Nantes aussi longtemps que moi à cause du taf. Chu devenu prof des écoles et elle prof de Français dans le secondaire. Le concours de profs des écoles c’est académique, ça veut dire qu’on se voit attribuer un poste au niveau du département, tandis que pour les profs du collège et lycée c’est national. Elle s’est retrouvée dans un coin paumé de Bretagne. On a continué à se voir certains weekends. Quand on se retrouvait pour sortir on avait toujours le même rituel. On mettait de la musique, on cuisinait, on mangeait, on se préparait, robe, maquillage, on buvait quelques verres, je faisais l’idiote pour la faire marrer, on prenait des photos où on devait être les plus moches possibles. Après on prenait des photos en mode poufiasse avec la bouche en cul de poule, puis on prenait des photos normales. Après cette longue séance photos, on sortait. On avait découvert un café-concert en plein cœur du centre-ville qui s’appelait le Stakhanov à l’époque. Ce jour là c’était vraiment énorme. On a rencontré des gens très cool. On a dansé comme des folles sur du rock indépendant. Je me rappelle exactement la tenue que je portais. J’avais une jupe très courte légère et rose foncé, un leggin et un top noir sur lequel était écrit « Morgane de toi » et des ballerines plates. C’était un endroit petit et super cosy. Y’avait une mezzanine et une petite estrade qui faisait office de piste de danse. Les gens étaient bobos, babacool, des gens ouverts… On a voulu retourner dans cet endroit, mais malheureusement il a fermé peu de temps après. Le lieu a été racheté et transformé en bar dansant avec une ambiance différente : Le Prohibition. Par nostalgie, on a continué à y aller. C’était pas les mêmes gens, pas la même musique, mais notre esprit y était. On pouvait se connecter avec l’âme qui nous avait animée la première fois. En fait, au bout de plusieurs fois, on s’est rendu compte qu’il se passait toujours un truc spécial quand on y allait, et c’est ça qui nous poussait à y retourner. Je vais vous donner un exemple. Une fois, on était sortie ailleurs, sur l’ile de Nantes, au Hangar à Banane. On a pas trouvé le bar idéal, les gens étaient beaucoup plus jeunes que nous, c’était presque des lycéens encore. On a croisé un groupe de mecs qui cherchaient aussi un endroit où danser et ils nous ont demandé de rentrer avec eux dans l’une des boites. Ouai ils laissent pas rentrer les mecs parfois, à moins qu’ils soient accompagnés par des filles. Alors on leur a rendu ce service : on est entré avec eux, puis une fois à l’intérieur, on les a laissés, comme convenu. On s’est dit : pourquoi on n’irait pas au Prohib’ ? Alors on a marché jusqu’à là-bas. Y’avait une bonne ambiance, on s’amusait bien, ça faisait plusieurs heures qu’on dansait, puis, soudain je lève la tête et je vois les mecs de l’autre bar sur la mezzanine. Eux aussi avaient trouvé meilleure ambiance ici. Ils nous ont invité à leur table. Ils étaient cool, mais ce qui est drôle c’est que dans la vraie vie, je pense qu’on aurait jamais trainé ensemble. On venait de milieux différents et peut être que si on s’était croisés dans la rue, on se serait même jugés mutuellement. La fête fait tomber les murs. On parlait, on buvait des shots, on s’amusait. Thelma, qui offre habituellement volontiers des verres devient excessivement généreuse quand elle a bu un peu d’alcool. Je peux vous dire que sa carte bleue a chauffé ce soir-là avec les bouteilles de vodka. Au cours de la soirée, un des mecs m’a fait le compliment le plus inattendu qu’on m’est jamais fait. Il m’a dit « J’adore ton nez. » Faut savoir que je n’aimais pas vraiment mon nez à l’époque, et que je l’avais même tellement détesté au lycée que j’avais envisagé la chirurgie esthétique. Alors j’ai kiffé le compliment. Après cette soirée, on est pas retourné dans ce bar pendant un an car Thelma habitait trop loin, et c’est moi qui suis allée la voir en Bretagne. Un an après, on est revenu au Prohib, pour une autre soirée. Rien d’extraordinaire, bonne ambiance, comme d’hab, un petit Jäger bomb ou deux et danse entre Bijette jusqu’à la fermeture du bar. Les lumières se rallument. Il est 4h du mat’. Les videurs nous demandent de sortir. Je m’apprête à quitter la piste quand un jeune homme inconnu s’approche de moi. Il est beau, il ressemble à un des frérots Délavega. Il me dit : « J’adore ton nez. »