6- Les chocobons
Dans les yeux du professeur, venez voir ce qui se passe à l'école primaire. Vous allez être amusés, surpris ou émus, voire tout cela à la fois.
Vocabulaire
un feuilleton télévisée : une série qui passe à la télévision
un prof : un professeur
l'illettrisme : état de ceux qui ne maîtrisent ni la lecture ni l'écriture.
le chômage : situation d'un demandeur d'emploi
la maltraitance : mauvais traitements
un instit : un instituteur, enseignant de l'école primaire
énergivore : qui consomme beaucoup d'énergie
chronophage : qui demande beaucoup de temps
nantaise : de la ville de Nantes, en Loire Atlantique, France
l'Avent : période de l'année liturgique de quatre semaines qui précède et prépare la fête de Noël
une case : un compartiment
des chocobons : petits chocolats de la marque kinder
tiré au sort : pris au hasard
avouer : reconnaître qu'on a fait, pensé quelque chose de mal, de fâcheux, de regrettable
une bouille : un visage
se retenir : s'empêcher
penaud : qui est honteux à la suite d'une déconvenue, d'une maladresse
une moue : expression du visage donnée par les lèvres resserrées et s'avançant, qui manifeste le mécontentement
CP : Cours préparatoire, niveau où les élèves de 6 et 7 ans apprennent à lire
Grande section : dernier niveau de l'école maternelle, juste avant le CP
le coin : l'angle d'une pièce
soigneusement : avec soin, avec attention
la phonologie : étude des sons
consister : être composé de
un morse : espèce de grand mammifère marin qu'on reconnaît particulièrement à ses longues canines ou défenses et leurs nageoires avant et arrière
épater : impressionner
un marqueur indélébile : un feutre dont l'encre ne peut s'effacer
maghrébin : originaire du Maghreb (Maroc, Algérie, Tunisie)
ah bon ? : vraiment ?
angevin : de la ville d'Angers, en Maine et Loire, France
Transcription
L’instit’, c’est un feuilleton télévisé que Miroir et moi on regardait souvent quand on était petites. On adorait. C’est l’histoire de ce prof d’école primaire qui, à chaque épisode, est confronté à un problème concernant un enfant et lié à un sujet de société : racisme, illettrisme, chômage, maltraitance… Je pense que c’est pas un hasard si j’ai choisi d’être instit’. J’ai fait ça pendant environ 8 ans. C’était fatigant, énergivore (ça c’est le mot préféré des profs, avec chronophage) Mais j’ai adoré. Je vais vous raconter quelques souvenirs, et vous allez comprendre pourquoi j’ai tellement aimé faire ce métier.
Bienvenue sur le podcast : La Vie d'Alix
Cette année-là, j’ai été nommée dans une école nantaise. Les élèves de la classe avaient entre 5 et 7 ans. On avait fabriqué un calendrier de l’Avent pour Noel. Il y avait 25 élèves dans la classe, donc c’était parfait. Un chocolat dans chaque case, ça faisait exactement un chocolat par élève. C’était des chocobons. Chaque jour, on ouvrait une case et on lisait un petit mot, l’élève tiré au sort pouvait manger son chocolat. J’avais posé le calendrier sur le banc. J’étais naïve. Quel élève n’aurait pas eu envie de prendre un chocolat quand j’aurais eu le dos tourné ? Ce qui devait arriver arriva. Un jour, je m’aperçus que deux cases du calendrier étaient vides. Deux chocolats manquaient. J’ai rassemblé tous les élèves sur le banc. Je leur ai dit « voilà, deux chocolats ont disparu. Je voudrais que celui ou celle qui a pris un chocolat viennent me le dire, plus tard dans la journée. » J’avais beaucoup d’estime pour ces élèves mais je ne m’attendais pas à ce que l’un d’entre eux avoue. La journée passait. J’avais presque oublié cette histoire de chocolat quand la petite Michaëlla s’est approchée de moi. Maitresse, c’est moi qui ai pris un chocolat dans le calendrier. Elle m’a dit avec sa bouille trop mignonne. J’avais tellement envie de rire mais je me suis retenue. As-tu pris les deux chocolats ? Nan, j’étais avec Adam. Adam avait entendu et nous a rejoints, tout penaud. C’est vrai que tu as pris un chocolat dans le calendrier ? Oui, je l’ai mangé. Je ne pouvais pas résister à leurs deux visages tous rond et leur moue. Comme vous avez déjà mangé votre chocolat, vous n’en aurez pas d’autres. Merci de me l’avoir dit. J’aimais tellement cette classe. J’avais un petit groupe de CP, 5 ou 6 et une vingtaine d’élèves de grande section. Les CP apprenaient à lire. Les grandes sections étaient moins matures, plus petits. Ils ne savaient pas encore lire. Parfois, j’apercevais trois ou quatre élèves de grande section dans le coin lecture, l’un assis sur une petite chaise, en face des autres confortablement installés sur les coussins ou le canapé. Il tenait un livre à la main, et leur racontait l’histoire, en tournant soigneusement les pages et en montrant bien les images après avoir prétendu lire chaque passage. L’un d’entre eux, Élies, était un spécialiste des animaux. Il connaissait tout leurs noms. Ça le passionnait. Un exercices de phonologie consistait entourer le dessin où on entendait le son du jour. Il y avait de nombreux dessins d’animaux dans leur cahier, et parfois, j’étais incapable de dire ce que c’était. J’allais voir Élies, et je lui demandais « C’est quoi ça ? » Ben c’est un morse. Il m’épatait.
Ce que j’aimais le plus avec les enfants, c’est qu’ils ne me jugeaient jamais. Je faisais des erreurs parfois, mais leur regard n’était que bienveillance, comme la fois où j’ai écrit au tableau avec un marqueur indélébile et que je m’en suis rendue compte une fois le tableau rempli. Un jour, j’étais remplaçante, je suis arrivée dans une classe où les élèves ne me connaissaient pas. Ils me voyaient pour la première fois. Ils avaient tous des prénoms d’origine arabe, et pour cause, leur école se trouvait dans un quartier où vivaient de nombreuses familles magrébines. Ils étaient nés en France, mais peut-être pas leurs parents et encore moins leur grands-parents. Je commence le cours et au bout d’une trentaine de minutes, l’une d’entre eux lève la main. Maitresse, tu viens d’où ? Comment ça tu viens d’où ? Je suis française, comme vous. D’autres s’y mettent aussi : Mais t’es née où ? Ben, en France. Pourquoi vous me demandez ça ? Parce que maitresse, t’as un accent. Ah bon ? Comment ça j’ai un accent ? Ben oui, tu dis "câhier" au lieu de cahier. Oui, c’est vrai, je dis "câhier", ça doit être l’accent angevin.