20 - Des étiquettes sur les murs

J’ai écrit cet épisode pour un micro ouvert et je l’ai enregistré tel que je l’ai raconté sur scène, devant un public québécois. Surtout, je l’ai écrit pour une personne chère, qui était aussi dans la salle, ce soir là.

Vous connaissez le jeu des deux mensonges et une vérité ? En gros je vais vous dire 3 phrases, et parmi ces trois phrases yaura 2 choses fausses et une chose vraie, et vous, vous allez devoir deviner quelle est la chose vraie. Vous êtes prêt ? Alors…

J’ai conduit à sens interdit sur une route Australienne

J’ai vécu dans un van pendant l’hiver canadien et…

J’ai dormi chez des inconnus dans un village vietnamien le soir de Noel

Alors, vous avez trouvé ? La vérité c’est que j’ai menti un tout petit peu… les trois sont vraies ! J’ai bien roulé à sens interdit en Australie, mais pas sur une route, juste dans une rue, et des Vietnamiens m’ont bien logée pour une nuit mais c’était pas le soir de Noël. J’ai vraiment vécu dans un van en plein hiver au Canada. Bon je vous rassure c’était pas à Québec, c’était à Vancouver, il fait pas si froid…mais l’année dernière on a quand même atteint moins 10 degrés.

Je joue souvent à ce jeu avec mes étudiants pour le premier cours. Je sais jamais quoi dire à chaque fois, je réfléchis, et je pense à un tas de trucs chelou que j’ai vécu…

Étiqueter tous mes meubles et remplir les murs de chez moi avec des dizaines de post-it jaunes, verts, bleus et roses avec des mots en français écrits dessus.

Croquer dans une araignée grillée sur un marché à Shanghai.

Développer une addiction pour la pâte à la levure de bière australienne connue sous le nom de végémite.

Organiser un triathlon à Vancouver en plein covid.

Le plus chouette, c’est que j’ai partagé tous ces souvenirs avec une autre personne qui aime aussi l’aventure.

Qui a lu toutes ces étiquettes colorées collées sur les murs et les meubles de chez moi ? Qui j’ai voulu impressionner en croquant dans cette araignée grillée ? Qui m’a donné envie d’étaler de la végémite sur mes tartines le matin ? Qui m’a encouragée à nager 750m en eau libre dans une compétition alors que je n’avais jamais fait ça avant ?

Tout a commencé ya 5 ans, en Australie. Je venais littéralement d’atterrir et ma coloc était sur cette appli que je trouvais stupide à l’époque… vous savez celle qui consiste à glisser son pouce à gauche ou à droite de l’écran pour indiquer que l’on aime ou non une photo, et donc une personne. Pour sympathiser avec ma coloc, j’ai décidé de faire comme elle et donc je me suis mise à swiper moi aussi.

Toutes les photos étaient plutôt basiques mais yen avait une qui sortait du lot, c’était un mec qui fait un équilibre sur la plage. Alors j’ai liké et on a commencé à parler.  Au bout de quelques jours, on a décidé de se rencontrer. Faut savoir que mon anglais était plutôt nul à l’époque. J’étais toujours jetlaguée. Et on s’est vus dans un lieu super bruyant. Un bar avec de la musique forte. Pour couronner le tout, il était Australien. Autant vous dire que j’ai pas compris grand-chose à ce qu’il disait. C’est là que j’ai commencé à développer des stratégies pour sociabiliser dans une langue que je maitrise pas. Comme lire sur les lèvres, repérer des signes sur le visage pour interpréter les émotions des gens, anticiper les blagues pour rire au bon moment. Chu plutôt à l’aise avec l’anglais maintenant mais à l’époque j’étais pas au point alors je me suis dit «Il faut qu’on mange un truc, parce que si on mange on aura pas besoin de parler. » 

Donc la deuxième fois, on est allés manger une glace. D’habitude je prends toujours le même parfum mais cette fois ci je sais pas pourquoi j’ai voulu m’aventurer sur un parfum original. J’ai choisi un truc normal genre stracciatella, puis un autre truc complètement bizarre à mon avis, genre gorgonzola, un fromage italien. On avait décidé de partager la glace, parce que c’était plus romantique, puis c’est moins cher aussi. On a mangé en tenant alternativement le cornet dans la main. J’ai commencé par gouter un morceau de gorgonzola et j’ai trouvé ça dégoutant. J’ai rien dit. J’ai tourné le cornet pour continuer à manger uniquement le coté bon, avec la straciatella. Je prenais la glace vers la base du cornet pour en avoir le plus possible sans que le niveau descende. Comme ça il donc s’apercevait de rien, jusqu’au moment où il a tourné le cornet pour changer de parfum. Il a vu ma supercherie : y’avait un gros creux au niveau de la stracciatella. Chu devenu toute rouge. Puis lui il a rigolé. On s’est quand même revus après ça. Il n’était pas rancunier, car ce jour-là, au troisième date, on s’est embrassés.

Ensuite on s’est plus quitté. On a mangé plein d’autres glaces mais cette fois, on a pas partagé. Attends il allait pas se faire avoir une 2eme fois hein. Après plusieurs mois sur cette île paradisiaque, mon séjour en Australie s’est terminé, chu partie en Chine. Lui il a voulu venir avec moi… Puis on s’est jamais arrêté de voyager… En 5 ans, j’ai vécu sur les 5 continents. Mon Australien m’a suivie, sauf en cette fichue année 2020, quand plus de 16 000 km nous a séparés pendant 9 mois. « Parce que covid » comme diraient mes étudiants. J’ai envisagé de creuser un tunnel entre la Tunisie et l’Australie pour le rejoindre. Mais finalement ya pas eu besoin. On a enfin réussi à se retrouver.

ya un truc que je peux dire qui me vient toujours en premier si vous me demander de le décrire c’est qu’il adore manger. Alors « si je devais résumer ma vie avec mon Australien », je vous citerais simplement les saveurs qui me procurent des impressions de déjà vu pour chaque pays où on a vécu : Un parfum d’argan séduisant, un effluve nostalgique de marron brulé, une fragrance attirante de musc, un arôme réconfortant de cacao au lait chaud. J’y pense, il y a bien un parfum que j’ai eu avec moi pendant de ces 5 années, et qui ne m’a jamais quittée, c’est le parfum de la liberté. Et oui, avec toi Aussie, je me suis sentie libre d’être moi-même. Juste un dernier truc, vous vous demandez peut-être pourquoi j’ai couvert les murs et les meubles avec des post-its. Yen a même qui ont surement pas écouté la suite parce qu’ils sont restés bloqués… En fait je vous explique : mon Australien au début il parlait pas et c’est comme ça, avec des étiquettes sur les murs, qu’il a commencé à apprendre.

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