16 - La Belle au Petit Pois

La Belle au Petit Pois c'est une princesse rebelle, une princesse qui se bat toute seule contre les dragons, une princesse qui n'a pas besoin d'un prince pour la réveiller, mais simplement d'elle même.

J’avais un rêve depuis toujours, c’était de partir vivre à l’étranger. Je le clamais, je l’écrivais dans mes rédactions dès l’âge de 8 ans. J’attendais d’être adulte. Je me disais : « Quand je serai grande, je partirai loin, j’irai vivre à l’autre bout du monde, et je me marierai avec un étranger. Puis j’ai eu 19 ans, et j’ai rencontré un Français.

Toute sa famille était nantaise, ils étaient tous nés et avaient tous grandi dans le même coin. Les parents, grands-parents, et arrières grands-parents. Jude était l’opposé de moi. Il était très pragmatique, un vrai scientifique. Les contraires s’attirent, dit-on. Rêveuse et romantique que j’étais, j’ai eu le coup de foudre. Au début, je suis tombée pour ses beaux yeux bleus. Puis après j’ai découvert son intelligence, son humour, sa sensibilité. Y’a autre chose qui m’a tout de suite plu chez lui, c’est sa famille. Surtout sa maman. Marie-Ange était douce, gentille et pétillante. Elle aimait faire plaisir à ses enfants. Elle écoutait Jude lui raconter sa vie, et elle faisait pareil avec moi. On est devenues très proches au fil des ans. Elle m’appelait « La princesse ». Je portais souvent des robes très élégantes, ça me donnait un air d’altesse. J’avais aussi un très mauvais sommeil à l’époque, alors je faisais beaucoup de siestes. Je ressemblais à ce qu’aurait pu être l’héritière de la Belle au Bois Dormant et de la Princesse au Petit Pois. La première dort pendant 100 ans rappelez-vous, et la suivante est si délicate qu’elle ressent une douleur causée par un pois dissimulé sur son sommier, si bien qu’elle se couche sur une immense pile de matelas chaque soir un peu plus haute. Je crois que Jude aussi me voyait un peu comme cette princesse : la Belle au Petit Pois. Une beauté fragile. Il voulait sans cesse me protéger, et ça m’arrangeait bien d’un côté. Mais au fond, je me voyais plus comme une Scarlett O’Hara. J’avais dévoré les 3 tomes du célèbre roman de Margarett Mitchell à 16 ans, et je m’étais pleinement identifiée à cette femme courageuse et passionnée. D’ailleurs, on me nomma ainsi des années plus tard, quand j’ai commencé à travailler en tant que professeur. Scarlett ! Pouvait-on entendre la directrice de l’école m’interpeller de l’autre bout du couloir. Sans doute à cause de toutes mes tenues sophistiquées, mais j’ose croire que ma détermination aussi lui rappelait ce personnage au caractère bien trempé. Jude connaissait bien mon côté survolté. Et pour cause, il m’avait donné un autre surnom : Madame Mim, une sorcière excentrique et joueuse que l’on avait vu apparaitre dans le film de Disney « Merlin L’Enchanteur ». J’adorais ce personnage car elle pouvait se transformer en n’importe quoi. Je voulais déconstruire les stéréotypes et réécrire les histoires de princesses afin qu’elles deviennent de vraies héroïnes courageuses en action et en finir avec le cliché des nanas démunies que seul l’action d’un homme pouvait libérer. Cette Madame Mime rusée et sans aucune morale, à mi-chemin entre une jeune fille gâtée et une vieille dame grincheuse me semblait être un bon compromis. J’aimais bien que Jude m’appelle Mime. A mon tour, je lui avais trouvé un sobriquet. Vous connaissez les Monsieurs Madames ? Ce sont des personnages identifiés par une caractéristique particulière dont les aventures humoristiques sont racontées dans des petits livres carrés. Ya un des bonhommes qui est vert et a une moustache bien droite. Il range tout méticuleusement et il va même jusqu’à peigner les brins d’herbes de son jardin. Monsieur Tatillon. Tel était le surnom de Jude. J’avais l’impression qu’il voulait tout contrôler, ne rien laisser au hasard. Jude m’apportait de la stabilité. Très vite, mon attirance pour lui s’est transformée en une sorte d’adoration. Je ne voyais plus que par Jude, je ne vivais plus qu’à travers lui, à tel point que j’en ignorais qui j’étais vraiment. Jude était mon pilier : amoureux, ami, famille, confident. Je lui disais tout. Enfin, presque. Y’a tellement de choses que j’aurais voulu qu’il sache. Mais j’avais peur de sa réaction. Pour éviter de le perdre, je me suis menti à moi-même. Mon rêve de petite fille résistait cependant. Je disais à Jude : Je veux partir vivre à l’étranger. Il me posait toujours cette même question : « Pourquoi ? » et je lui répondais, « pour vivre quelque chose de différent. » Ça le rendait encore plus furax. Il a essayé de me convaincre de rester, mais mon envie était plus forte que tous les arguments qu’il alignait. Au bout de 7 ans de relation, il a fini par céder et je suis partie vivre dans une famille anglaise pendant 6 mois. Le jour où je suis rentrée, Marie-Ange m’a serrée fort dans ses bras et elle a murmuré à mon oreille : « Ne nous refait plus jamais ça. »

Le truc c’est que cette expérience m’avait beaucoup plu, et ce que Jude redoutait est arrivé. J’ai eu envie de repartir. J’y pensais de plus en plus, et j’en ai encore parlé . Rien à faire, il était déterminé à rester, et moi, je ne pensais plus qu’à ça : Partir. Ce que Jude et sa famille considérait comme une lubie de ma part, est devenu une obsession. Je regardais mon futur et je me voyais bientôt mariée, avec des enfants, une maison, un chat et un chien. Je me souvenais d’une phrase que j’avais entendu dans un livre dont l’héroïne, une petite fille, Jade, se pose des questions sur la vie. Ça disait : « La vie est un champ de possibles. » Parmi tous ces possibles, je voyais ceci : un autre futur, sans Jude, dans un autre pays. L’inconnu total. Ce qui paraitrait effrayant pour certain m’exaltait. J’ai commencé à envisager cette option. Je pensais à tout ce qui allait disparaitre le jour où je déciderai d’y mettre fin : Les fou-rire, les repas romantiques, les célébrations en famille, les soirées jeux … Je vivais tous ces moments précieux en me répétant à moi-même : « C’est la dernière fois. » Alors, un soir de notre 9ème été, Jude et moi devions nous retrouver devant la Cathédrale de Nantes. Je me suis assise dans le creux entre deux piliers de ce magnifique monument, comme pour me donner de la force, en me connectant aux pierres immuables de cet imposant édifice et j’ai prononcé ces mots tranchants. « Je ne vais pas t’embrasser. » La Belle au Petit Pois s’est réveillée toute seule finalement, et heureusement, elle n’a pas attendu 100 ans.

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