14- Je vais bien, ne t’en fais pas.

Voici un épisode où Alix croise soudainement le regard d'une fille sublime et mystérieuse dans les couloirs du lycée, et qui va marquer sa vie à jamais.

Un jour dans les couloirs du lycée, j’ai vu une fille d’une beauté sans pareil. Elle avait de grands yeux bleus et les cheveux longs dorées, le teint matte. Elle était grande et mince. La bouche épaisse. Elle me paraissait mystérieuse. Je l’ai vue et j’ai immédiatement ressenti un mélange d’attirance et de fascination pour cette fille. Je voudrais lui rendre hommage car elle a laissé une empreinte indélébile dans mon cœur d’adolescente.

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Lili était en seconde, comme moi, mais pas dans la même classe. Quand je l’ai croisée dans le hall du bâtiment principal, celui avec les escaliers en bois et les murs en pierres, j’étais avec Margaux. Ça a duré deux secondes. Son visage est gravé dans ma mémoire, et le souvenir de mes émotions aussi. Margaux m’a dit « T’as vu cette fille ? » J’ai dit « Oui, elle est magnifique ». Margaux a ajouté « Elle a l’air tellement triste. » Je n’avais pas vu la tristesse dans son regard tant j’étais éblouie par la délicatesse et l’élégance de ses traits. Elle était toujours en compagnie de deux autres filles, qui portaient le même prénom : Laura. Elles avaient toutes les trois un très beau visage et une façon de se vêtir qui me faisait penser à des mannequins en défilé. Elles se baladaient tout le temps ensemble dans la cour, et ne semblaient parler à personne d’autre, ce qui entretenait un certain mystère. D’où venaient-elles ? Que faisaient-elles ? Qu’aimaient-elles ? De quoi parlaient-elles ? Je me posais toutes ces questions à chaque fois que je les voyais et même si je ne savais rien d’elles, j’arrivais à glisser leur nom dans les conversations assez souvent, ou plutôt ce surnom que je leur avais attribué : « Les top modèles ». Je les admirais et je rêvais de leur adresser la parole. Ce jour arriva plus tôt que je n’avais imaginé. C’était le jour de la rentrée. Nous étions en première. La mystérieuse blonde aux yeux bleus était dans ma classe. Incroyable. Dès la pause, dans la cour, je me suis approchée d’elle pour lui parler. Je lui ai dit : « T’as une tache brune dans l’œil gauche. ». Elle a souri. Je ne sais plus comment on est devenue amie, mais on s’est rapprochées au fil du temps. On s’écrivait des sms les soirs après les cours. Puis on a commencé à s’écrire des lettres. Un jour, elle m’a envoyé un texto qui m’a profondément émue : « Je t’aime beaucoup ». a-t-elle écrit. Moi aussi je l’aimais beaucoup. Je voulais la connaitre mieux, passer du temps avec elle. Je sentais une grande force en elle, je sentais aussi une grande sensibilité. Lili avait du talent. Elle chantait dans une chorale. Elle voulait être chanteuse lyrique. Un jour, je suis allée chez elle. L’élégante cantatrice vivait dans un vieux village médiéval et sa maison ressemblait à un château avec beaucoup de recoins, comme dans un labyrinthe. Nous étions dans sa chambre, qui était pour moi comme le donjon dans lequel je l’imaginais rêver en regardant par la fenêtre. Je lui ai demandé de chanter. Elle m’a dit oui mais elle était gênée, alors elle m’a demandé de lui tourner le dos. Sa voix était cristalline et légère. C’était bouleversant. Pendant les cours, elle dessinait dans les marges des cahiers des petits bonhommes au corps circulaire avec des ailes et des pattes toutes fines. Elle les appelait « les petites boulettes ». Moi, ça me faisait penser à un jeu auquel Céleste jouait sur l’ordi, dont le personnage principal était un petit animal imaginaire rond qui s’appelait « Zébulon », alors j’ai surnommé les dessins de Lili : les « Zébulettes ». A mon tour, je me suis mise à dessiner des zébulettes. Je leur ai ajouté des antennes, des petites bulles au-dessus de la tête pour leur donner un air magique et des spirales sous les pattes pour créer du mouvement. Ces petites bestioles étaient toujours là, sur des bouts de papiers. Elles étaient un peu comme des fées qu’on trouve dans les contes, veillant sur nous. D’ailleurs, j’étais moi-même devenue l’une de ces fées, c’est ainsi que Lili m’appelait. Elle écrivait toujours « fée » dans ses messages, ou dans ses lettres, que ce soit « Bonjour fée » « Comment ça va fée? » « Bonne nuit fée », « Je tiens à toi fée ». Bref, ses messages étaient remplis de « fée ». J’avais passé suffisamment de temps avec elle pour qu’elle se confie, et un jour j’ai compris pourquoi on pouvait lire de la tristesse dans ses yeux. Il y avait eu quelque chose de terrible dans sa vie d’enfant. Elle m’écrivait des lettres pour m’expliquer ce qui la paralysait, ce qui lui faisait peur et ce qui lui donnait tant de peine. Elle me racontait tout cela à travers la plume d’un personnage qu’elle avait imaginée, et elle signait ses lettres par « Monsieur le Dragon ». Je lisais toutes ces lettres écrites par son dragon intérieur. Celui-ci me confiait qu’il avait un secret. J’ai compris qu’elle essayait de me dire quelque chose à travers cette sorte d’hydre fabuleuse. J’ai répondu à la créature légendaire, je l’ai apprivoisée. Un jour, j’ai réussi à lui faire cracher son secret. Puis l’animal chimérique s’est envolé. Et Lili est sorti de son donjon pour explorer le monde. Elle a fait des études de médecine, et elle est partie vivre son rêve, en Amérique du Sud. Je ne l’ai jamais revue. J’ai continué à dessiner des zébulettes et je leur ai donné une personnalité malicieuse et joviale. J’ai même imaginé quelques petits scénarios, avec des dizaines d’entre elles. Je n’ai plus jamais reçu de message avec « fée ». Mais un jour, alors que j’écrivais à Thelma, tapotant sur les touches de mon téléphone, oui, j’avais pas d’écran tactile à l’époque. J’ai appuyé 3 fois sur la même touche, faisant apparaitre les 3 seules lettres qui me restaient de mon amitié avec Lili : FÉE. Et ça c’est pour toi fée : Tu es partie loin, mais je peux encore entendre ta voix douce et grave me murmurer « Je vais bien, ne t’en fais pas. »

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