Hors Série 2 : Dix pour cent
C'est le destin d'un être vulnérable. Un être qui par sa fragile beauté, va nous pousser à puiser dans la force qui se trouve au plus profond de nous, et qui fait qu'on parvient à garder l'espoir, même dans les moments les plus durs.
Vocabulaire
malicieux :
agilité : habileté
un amusement : un jeu
ravageur : destructeur
béat : en admiration
faire voir de toutes les couleurs : faire subir toutes sortes de désagréments
une poussette : voiture d'enfant, généralement pliable, constituée d'un siège suspendu à un châssis sur roulettes
une poupée : figurine représentant un personnage et servant de jouet
moufeter : protester
si tenté : si on peut considérer
5ème : niveau du collège pour les élève de 12/13 ans
le sida du chat : maladie mortelle pour les chats touchant le système immunitaire
un panier : ustensile avec anse ou poignées, en osier, en jonc, en plastique... servant à contenir, à transporter diverses choses
un journal intime : un cahier dans lequel on raconte sa vie personnelle
notamment : par exemple
délaisser : abandonner
un appart' : un appartement
chu : je suis
Y'a : il y a
cesser : arrêter
orphelin : qui n'a pas de parent
des puces : petit insecte parasite
une vasque : un évier, un lavabo
baroque : style
le reflet : image plus ou moins nette que renvoie une surface réfléchissante
chétif : maigre et fragile
la mousse : bulles blanches formés par le savon
brosser : frictionner quelqu'un, un animal, une partie du corps
un sèche-cheveux : un instrument pour sécher les cheveux mouillés
les nouilles : les pâtes
une coupelle : une petite assiette creuse
céramique : matériau dur qui n'est ni métallique ni un produit organique
choper : attraper
un pote : un ami
quotidien : qui a lieu chaque jour
raccrocher : reposer le téléphone ou couper un appel
murmurer : parler tout bas
inverser : échanger
en un clin d'œil : rapidement
une piqure : injection avec une aiguille introduite dans la peau
le véto : le vétérinaire
congé : jour non travaillé, jour de repos
Transcription
Chartreux, persan, siamois, bengal, sphynx, bleu russe, abyssin, angora, sacré de Birmanie… et j’en passe. Vous l’aurez deviné, je vais vous parler de cet animal antique et mystérieux dont on imagine parfois des pensées malicieuses et qui par leur élégance extrême et leur agilité surprenante, malgré leur amusement tantôt stupide tantôt ravageur, nous laisse toujours béats.
Bienvenue sur le podcast La Vie d’Alix, épisode spécial, hors série.
J’ai toujours aimé les chats. J’ai grandi avec un chat. Il s’appelait Caramelle. C’était une femelle alors on pouvait l’écrire avec deux « l ». Caramelle était le meilleur chat du monde à mes yeux. On lui en faisait voir de toutes les couleurs. Un jeu qu’on adorait c’était de la mettre dans une petite poussette de poupées et on roulait à toute vitesse d’un bout à l’autre de la maison. Elle ne moufetait pas. Elle acceptait le jeu, en quelque sorte. Caramelle était extrêmement patiente. Elle était d’une gentillesse absolue, si tenté qu’un chat soit gentil. Quand j’étais triste, je la faisais venir près de moi. J’avais l’impression qu’elle seule me comprenait. J’me souviens pas du jour où on l’a eue car j’étais trop petite, mais j’me souviens du jour où elle est partie. J’étais en 5ème. Elle a attrapé le sida du chat. Elle ne bougeait plus, elle souffrait en silence. Alors au bout d’une semaine, on a décidé de la laisser partir. Elle avait 11 ans et moi 13. J’lui ai fait un dernier bisou sur la tête. Papa l’a mise dans le panier et j’ai couru dans ma chambre pour pleurer. J’ai ouvert mon journal intime, j’ai écrit la date et ces trois mots : Au revoir Caramelle. Après elle, on a eu plein d’autres chats, avec d’autres histoires, celle de Plume notamment, qui est née en même temps que son frère Chocomoon. Il était énorme et elle tellement minuscule que sa maman l’avait délaissée dès la naissance. C’est Chocomoon qui s’en était occupé, il l’avait protégée, entouré de tout son corps, deux fois plus gros qu’elle. Quand ça s’est passé j’habitais plus à la maison, j’vivais dans un appart à Nantes avec Léna. C’est Céleste qui m’a tout raconté. Chu sure qu’elle a prié pour que Plume vive, mais elle était trop faible. Malgré les soins qu’on lui donnait, elle s’est endormie pour toujours. Ça a beaucoup affecté Céleste. J’ai eu l’impression que Plume était bien plus qu’un chat pour elle. Elle représentait quelque chose de beaucoup plus grand, qui la dépassait. Je crois que c’était l’espoir. Elle y avait cru. Je pense ça, parce que je l’ai vécu moi-même avec un autre chat, un chat qui selon moi, a eu un destin incroyable. Je vivais à Shanghai à l’époque. Là-bas y’a plein de chats de gouttière. Je l’ai aperçu dans l’arrière-rue où je vivais. C’était un tout petit chaton tigré qui miaulait de détresse. Il semblait perdu. Je me suis abaissée pour l’observer de plus près, il s’est approché de moi et je l’ai pris dans mes bras. Il n’avait pas peur. Il a cessé de miauler. Il s’est installé tranquillement et m’a regardé avec ses grands yeux verts. Il était magnifique. Je l’ai emmené chez moi. Mon amie chinoise m’a dit que Jingjing était un bon prénom pour lui car il était calme. Apparemment, c’est un prénom féminin, et lui était un mâle, mais qu’est-ce que ça pouvait faire, moi j’aimais bien Jingjing. Il ne connaissait rien de la vraie vie, car il était orphelin et il n’avait pas appris à se comporter comme un chat. Comme il était plein des puces, et qu’il se lavait pas, je lui faisais prendre des bains dans la jolie vasque couleur émeraude de mon petit studio. Il avait même un miroir baroque orné d’un cadre ovale en métal doré qui faisait exactement sa taille, si bien qu’il s’observait, semblant adopter un regard déconcerté face au reflet de son propre corps chétif plein de mousse. Qu’est ce qu’on a rit ! Il a grandi en pensant que c’était normal de prendre des bains, normal de se faire brosser sous la chaleur d’un sèche-cheveux, normal d’aller au restaurant de nouilles dans un sac à dos. Bref, ce chat était rêvé. Je le laissais sortir en journée et le soir il revenait dès qu’il entendait le son de sa coupelle en céramique. Le truc, c’est qu’il rencontrait d’autres chats qui vivaient dans de mauvaises conditions, il a chopé une maladie grave lui aussi. Ma pote chinoise l’a emmené chez le vétérinaire et ils m’ont appelée pour me dire qu’il avait peu de chances de survivre. 10%, ils ont dit. Avec un traitement quotidien dont la durée était encore indéterminée. Une semaine ou plus, peut-être. Je leur ai demandé combien ça coutait, mais j’ai pas écouté la réponse. Je leur ai dit : Faites le traitement. J’ai raccroché, les larmes aux yeux. Je suis allée chercher Jingjing chez le vétérinaire ce jour-là. Et pendant le trajet du retour, dans le taxi, je lui ai murmuré à l’oreille : Tu vas t’en sortir. A ce moment-là, j’ai eu cette idée : et si on inversait les chiffres ? En un clin d’œil, 10% de chance est devenu 90%. C’était beaucoup finalement. Je voyais bien qu’il était mal. Il ne bougeait plus, ne mangeait plus. Il sentait très mauvais, mais je le laissais dormir près de moi. Je ne le quittais que pour aller au travail. Et je lui répétais sans cesse : Tu vas vivre. C’est 90%. Chaque jour, il recevait une piqure à la clinique vétérinaire. Une semaine a passé. Le véto qui avait examiné Jingjing avant son traitement, était parti en congé pendant 7 jours. Quand il est revenu, il a vu Jingjing, et il s’est exclamé : Ce chat est vivant ? C’est un miracle ! J’ai rétorqué, en moi même : Nan, c’est juste 10 %, le reste, c’est de l’espoir.